Interview (extrait) Diana Wądołowska

 

Interview (extrait)

 

Diana Wądołowska: On dit que Puccini est le plus « cinématographique » de tous les compositeurs. Ce représentant du grand opéra italien introduisait systématiquement des éléments « novateurs » du monde de la composition, il employait des techniques musicales qui seront plus tard reprises par les compositeurs de Hollywood. Votre mise en scène se réfère dans son aspect visuel au cinéma classique français des années trente.

Maria Sartova: « Je ne vois personne ayant réussi comme Puccini à rendre l’atmosphère de Paris et son époque », déclara Claude Debussy. Je suis très attachée à la vision cinématographique. J’adore les films de Marcel Carné ou ceux de Jacques Becker dans lesquels nous voyons le Paris de cette époque. Le Paris où se termine la première Guerre mondiale, ou commencent les années folles, où se prolonge encore la joie, mais où l’ombre du drame à venir flotte déjà dans l’air.

Toute cette atmosphère imprègne les biographies de nos héros qui vivent à l’antichambre de la mort. Au troisième acte, j’essaye de construire une ambiance analogue à celle produite par le maître du cinéma français, Marcel Carné. Une rue enneigée, faiblement éclairée, une lanterne solitaire scintillant dans un coin, les vitrines du café Momus où se joue l’action en contrepoint entre Musette et Marcello.

Le tableau est accablant comme la fatigue qui suit une nuit de fête ratée. Ombres dans le café des derniers clients devant leur dernier verre. Ambiance inquiétante, « suicidaire », d’une nuit qui s’achève. L’action du quatrième acte se déroule dans un espace fermé, sous une lumière hostile et inquiétante. Le fond noir de la scène ainsi que le manque des nuances dans la couleur suggèrent l’absence de tout espoir. La lumière se contracte progressivement, ne laissant voir que des points spécifiques, jusqu’à la mort de Mimi dans l’obscurité complète.

 

D.W.: L’amour dans « La Bohème » se change en une féerie de couleurs ou l’on trouve de la sensibilité, des envols romantiques et les grandes déclarations que s’adressent mutuellement Mimi et Rodolfo, mais aussi de la passion, de la sensualité et la colère irrépressible présente dans les relations entre Musette et Marcello. Chacune de ces liaisons est différente, et les deux se terminent par une séparation.

M.S.: Le livret de l’opéra est une adaptation de « Scènes de la vie de bohème » d’Henri Murger, texte écrit en 1849. Les Français ont une manière bien à eux de ressentir leur vie amoureuse. L’amour est pour eux quelque chose de passager, ils savent qu’il n’y a rien d’éternel. Notre vision de l’amour est bien différente, nous y pensons comme à un sentiment fondamental et durable.

Nous sommes convaincus que l’amour doit durer toute la vie. Je ne voudrais pas détruire « l’ âme slave », bien au contraire, mais tout en restant dans un climat de légèreté, dévoiler de grandes émotions, celles qui ne se voient pas à la surface et pour lesquelles on lutte différemment. C’est pourquoi l’amour dans la conception que j’adopte est particulièrement proche de l’univers et de la sensibilité des milieux artistiques.

Rodolphe et Mimi se rencontrent à un moment où ils attendent l’amour. Leur rencontre est un « coup de foudre ». Ils sont le reflet d’autres couples mythiques vaincus par un destin tragique, comme Tristan et Yseult, ou Manon et de Grieux. Les sentiments de Mimi et Rodolfo sont en contrepoint de ceux de Musette et Marcello.

Ces amants sont incroyablement semblables entre eux, leur caractères trahissent un grand besoin d’indépendance, ils veulent être ensemble sans s’engager. Ces personnages sont d’emblée condamnés à un amour orageux nourri de doute, de sensualité et de sexe.

 

D.W.: Peut-être les deux héroïnes sont-elles ainsi faites pour ne pas être comprises des hommes qui ne voient en elles que séries de jeux de masques changeants? Rodolfo voudrait se séparer de Mimi car il n’a pas les moyens d’entretenir sa maîtresse malade, et Marcello ne cesse de soupçonner Musette de trahison ; tandis que Colline ne s’approche jamais des femmes, il préfère « sa pipe et un bon texte grec », et que Schaunard ne parle de l’amour qu’avec ironie. Qui sont les hommes de Puccini?

M.S.: Dans l’acte III, les hommes, Rodolfo et Marcello, s’avouent impuissants devant les problèmes existentiels. Ce sont les femmes, Mimi et Musette, qui décident de rompre, et chacune d’elles quitte son partenaire. Rodolfo et Marcello sont désemparés. A l’acte IV, la mort inéluctable de Mimi change tous les protagonistes ; elle est le début de leur maturation et, peut-être, de leur accession au sens de la responsabilité dans la vie. Leur jeunesse s’achève avec la mort de Mimi, et l’insouciance disparaît à jamais.

 

Voir aussi:

La Bohème Giacomo Puccini
La Bohème – extraits des critiques
La Bohème – photos
La Bohème – vidéo